PROBLEME N°3 :
L’industrie nucléaire n’est pas neutre en gaz à effet de serre (GES)
La production d’électricité ne représente qu’une partie des émissions de GES. Et l’industrie nucléaire est aussi émettrice de GES, même si sensiblement moins que les centrales thermiques traditionnelles. Mais il n’est pas possible de développer à grande échelle le nucléaire comme solution au défi climatique, tant il comporte intrinsèquement d’autres problèmes : trop lent à développer, trop cher, trop sale et trop dangereux. Ainsi que des contraintes géographiques, géologiques, financières, temporelles, sécuritaires, géopolitiques, démocratiques…. La construction de nouvelles centrales n’est pas une solution crédible à la crise climatique.
Proposer l’énergie nucléaire plutôt que les énergies fossiles pour la production électrique, c’est remplacer un problème par un autre, alors que les énergies renouvelables sont propres, sûres et compétitives. L’objectif – évident – pour les écologistes, c’est un monde sans GES ET sans déchets radioactifs.
3.1. La production de GES du nucléaire
Les centrales nucléaires produisent actuellement environ 10 % de l’électricité mais seulement 3 à 4 % de l’énergie totale consommée dans le monde. Elles permettent donc d’éviter au mieux environ 3,5 % des émissions de GES mondiales, si on suppose qu’elles se substituent à un mix moyen hors nucléaire.
Toute production d’électricité est émettrice de GES. Certains moyens de production sont cependant de gros émetteurs (combustion du charbon, du pétrole, du gaz) et d’autres moins. La question du calcul de ces émissions reste toutefois complexe.
Par exemple, concernant l’énergie produite par le nucléaire, la fission elle-même au sein du réacteur ne génère aucune émission de GES mais il faut, pour être exact, considérer l’impact en GES de la construction de la centrale, de son démantèlement futur, de l’extraction de l’uranium et du conditionnement du combustible et même de la gestion des déchets radioactifs pour les centaines de milliers d’années à venir.
Pour pouvoir comparer les productions de GES des différentes sources d’énergie entre elles, il faut donc les analyser tout au long de leur cycle de vie.
Dans ce contexte de calculs complexes, les estimations d’émissions de GES par kwh pour l’énergie nucléaire varient . Le GIEC l’estime entre 3,7 et 110 gCO2e/kWh, avec une médiane à 12. Des calculs plus globaux de l’ADEME montent jusqu’à 66 (l’énergie éolienne tourne autour de 14 et le photovoltaïque autour de 40).
Le chiffre moyen de 66 gCO2e/kWh est aussi celui avancé par Benjamin Sovacool dans son analyse comparative de plusieurs dizaines d’analyses de cycle de vie. Pour Willem Storm Van Leeuwen, un des analystes les plus pointus dans le domaine, les chiffres se situent plutôt entre 88 et 146 gCO2e/kWh (cf encadré ci-dessous).
Autrement dit, si le nucléaire émet, à l’évidence, nettement moins de GES que les énergies carbonées, il en émet tout de même davantage que les sources d’énergies renouvelables. En outre, tout bas carbone qu’elle soit, la production d’électricité par fission nucléaire génère quantité de déchets sales et dangereux, pour des durées inimaginables (voir Problème n°1. Le nucléaire est (très) sale).
Compter sur le nucléaire pour résoudre le problème des émissions de GES du secteur électrique, c’est en partie remplacer un problème par un autre.
L’étude WISE de Storm van Leeuwen (2017)
Le nucléaire est-il une l’énergie bas carbone qui permettra à la Belgique d’atteindre ses objectifs climatiques ? La discussion technique doit éviter toute hypocrisie. D’une part, le fonctionnement d’une centrale nucléaire n’est pas à émissions nulles ou presque nulles. La centrale est l’élément le plus visible d’une série de processus industriels indispensables à son fonctionnement et à la gestion sécurisée de ses déchets. C’est bien l’ensemble du cycle industriel du nucléaire qui doit être pris en compte. Cette séquence d’activités industrielles, du minerai à l’électricité, à l’exception de la fission dans le réacteur, utilise des combustibles fossiles et nécessitent des réactions chimiques qui produisent des GES.
En amont, la construction des installations, leur maintenance et le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, de l’extraction des minerais à leur enrichissement, sont générateurs d’importantes émissions de GES qui sont provoquées par les combustibles fossiles utilisés mais également par les processus chimiques nécessaires à l’enrichissement de l’uranium et à la fabrication d’autres éléments combustibles pour les réacteurs. Ceux-ci provoquent d’importantes émissions de gaz fluorés et chlorés, dont certains ont des potentiels de réchauffement climatique largement supérieurs à celui du CO2. Il est, en outre, probable que ces émissions de GES augmentent significativement avec le temps, au fur et à mesure que la teneur en uranium sera plus faible dans les gisements de minerais découverts.
En aval, le démantèlement des installations, le traitement et le stockage des déchets impliquent des activités industrielles à grande échelle, nécessitant des quantités massives d’énergie. Mais comme seule une partie de ces processus en aval de la séquence industrielle du nucléaire est opérationnelle après 60 ans d’exploitation, il existe une dette énergétique à payer par les générations futures. Si on veut comparer l’intensité en GES de l’énergie nucléaire à celle des autres systèmes énergétiques, ces émissions différées doivent donc être ajoutées à celles qui sont générées pendant la construction et l’exploitation des centrales nucléaires.
Selon le rapport rédigé par Jan Willem Storm van Leeuwen pour WISE Amsterdam, la somme des émissions de l’ensemble de ces processus peut être estimée entre 88 et 146 gCO2e/kWh. Par comparaison, en analysant le « cycle de vie » des différentes sources d’énergie, l’éolien produit entre 5 et 10 g CO2e/kWh, les autres énergies renouvelables entre 10 et 40 gCO2e/kWh, les centrales au gaz 440 g CO2e/kWh et celles au charbon 1000 gCO2e/kWh. Ces ordres de grandeur relativisent l’avantage du nucléaire par rapport à des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire photovoltaïque en matière d’émissions de CO2.
Le nucléaire est-il une des solutions aux changements climatiques ? La question est légitime et la réponse complexe. Certains scénarios, y compris publiés par le GIEC, prévoient une part de nucléaire dans le mix électrique mondial, fut-ce de façon transitoire. Mais cette contribution doit être fortement nuancée car la part d’électricité nucléaire dans la production mondiale d’énergie est tout à fait marginale (10% de l’électricité et 4% de l’énergie mondiale).
Qu’on accepte ou pas la prise de risque et les inconvénients indéniables de l’énergie nucléaire, il est incontestable que la lutte contre les émissions de GES doit se faire sur bien d’autres terrains que celui-là. En matière d’électricité, réduire substantiellement les émissions de GES via le nucléaire, nécessiterait de construire, très rapidement et pendant des décennies, des centaines de nouveaux réacteurs atomiques partout dans le monde…
Or, cela n’est pas possible :
- Techniquement : on ne peut pas construire de réacteurs atomiques n’importe où. Il y a des contraintes géographiques et géologiques très importantes.
- Financièrement : vu le coût colossal de construction d’un réacteur, dans le marché libéralisé de l’énergie, le privé n’investit jamais seul pour construire une centrale nucléaire. Les investissements dans ce secteur sont nettement à la baisse.
- Géopolitiquement : la proximité entre les technologies nucléaires civile et militaire posent énormément de questions sur la diffusion à grande échelle de cette énergie comme en témoigne les problèmes avec le nucléaire iranien.
- En termes de délais : une centrale nucléaire prend de nombreuses années, parfois des décennies à se construire. Il faut 10 à 19 ans entre la décision d’un projet de réacteur nucléaire et sa capacité à commencer à produire de l’électricité.
Contraintes géographiques, géologiques, financières, temporelles, sécuritaires, géopolitiques, démocratiques… Au regard de l’urgence de réduire nos émissions de CO2, la construction de nouvelles centrales atomiques n’est clairement pas une solution face à la crise climatique.
3.2. La fermeture des centrales nucléaires belges fera-t-elle “exploser” nos émissions de GES ?
La fermeture des centrales nucléaires belges s’inscrit dans une volonté plus large de développer un mix électrique 100% renouvelable et un système énergétique neutre en carbone à l’horizon 2050. Mais vingt années ont été perdues dans la préparation de cette sortie de l’atome. Dès lors, pour une durée limitée, des centrales au gaz, émettrices de GES, vont devoir remplacer une partie de la production d’électricité actuellement générée par le nucléaire.
L’objectif reste cependant de faire fonctionner ces centrales le moins souvent possible, pour assurer les pics de demande électrique quand le renouvelable ne suffit pas, et le moins longtemps possible, en agissant pour que l’usage du gaz naturel soit progressivement remplacé par du biogaz ou de l’hydrogène vert.
Mais cela va-t-il faire exploser à court terme les émissions de GES de la Belgique ? De facto, à l’échelle de l’UE (les GES ne connaissent pas de frontière), il n’y aura pas d’augmentation car les émissions de CO2 dans le secteur électrique sont comptabilisées au niveau européen dans le cadre du «pot commun» dit ETS.
Les écologistes ne sont pas de grands fans de ce système mais il existe et signifie que le système électrique de toute l’Europe dispose d’un quota maximal d’émissions de GES. Les producteurs d’électricité sont dès lors dans l’obligation de partager ce quota, en fonction de la quantité de GES qu’ils émettent, peu importe leur lieu d’émission.
3.3. Les émissions de GES dans l’UE sont plafonnées
Ainsi, si nous émettons transitoirement plus de GES en Belgique en installant provisoirement de nouvelles centrales au gaz, d’autres centrales (au charbon) ailleurs en Europe (par exemple en Pologne) seront dans l’obligation de fermer. En effet, dans le cadre de ce système ETS, les technologies de production d’électricité plus efficientes telles que les centrales Turbine-Gaz-Vapeur (TGV) que nous installerons en Belgique entrent directement en concurrence avec les centrales à charbon plus polluantes, notamment d’Allemagne.
Malgré l’inconvénient incontestable de toute nouvelle installation fossile, nous pouvons conclure qu’à l’échelle continentale, l’impact sur les émissions carbone de nouvelles centrales au gaz belge est neutre. Plus précisément, selon le Bureau Fédéral du Plan, les émissions européennes du secteur électrique en 2030 seraient de 415,8 Mt d’équivalent CO2 en cas de développement fort des renouvelables et de 414,96 Mt d’équivalent CO2 en cas de prolongation de deux réacteurs nucléaires.
Si nous nous centrons sur les conséquences en termes d’émission sur le territoire belge, il faut rappeler que le débat ne concerne aujourd’hui que les deux réacteurs nucléaires sur 7 pour lesquels une prolongation est réellement envisageable. En effet, le «débat nucléaire», porte sur la prolongation des réacteurs qui auront bientôt 40 ans, Doel 4 et Tihange 3, soit environ 10-15% de notre production d’électricité.
Ces deux réacteurs «prolongeables» ne produisent que 4% de notre énergie. La prolongation de 10 ans de 2GW nucléaires éviterait environ 25 millions de tonnes (cumulées) d’équivalent CO2 dans notre pays, soit 1 à 2% de nos émissions de GES qui seront, rappellons-le, compensées au niveau europen. Considérer ce «débat nucléaire» comme central pour le climat est simplement inexact, voire malhonnête.
Il est cependant vrai que la sortie du nucléaire, même globalement neutre au niveau européen, augmentera les émissions de GES émises sur le seul territoire wallon. Energyville (2020) a calculé que la sortie du nucléaire conduirait à une augmentation des émissions sur notre territoire de l’équivalent de 5,6 Mt CO2 en 2026, comparé à 2020.
Mais, toujours selon Energyville, en 2030, les émissions du secteur de l’énergie diminueraient malgré tout de 1 million de tonnes de CO2 comparé à 2020.
Il n’empêche que cette phase, l’apport de nouvelles centrales au gaz, est une nécessité regrettable et que nous devons tout faire pour en limiter l’impact en poursuivant une trajectoire de sortie des énergies fossiles. Plus vite nous développerons le renouvelable et améliorerons l’efficacité du système énergétique, moins ces centrales au gaz fonctionneront et émettront de CO2.
Elles devront, à terme, n’être activées que pour fournir de la «flexibilité» en cas de pic de consommation.
Enfin, la question des GES ne peut faire oublier celle des autres déchets des différents moyens de production d’électricité : majoritairement recyclables pour les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes, extrêmement dangereux pendant des dizaines de milliers d’années, et donc sur des milliers de générations, pour les déchets radioactifs du nucléaire. L’enjeu est technique, environnemental, économique mais aussi éthique.
Pour lutter contre le changement climatique, le nucléaire est devenu trop cher (un euro investi dans le nucléaire servira moins à lutter contre les changements climatiques qu’un euro investi dans le renouvelable), et trop lent (pour peser substantiellement sur les émissions de GES, il faudrait construire très rapidement à minima des centaines de nouvelles centrales atomiques.
Or cela mettra des décennies – temps que la lutte climatique n’a plus – et serait aussi impayable que dangereux).
L’objectif pour les écologistes, c’est un monde sans émissions de GES ET sans déchets radioactifs.
Le GIEC préconise-t-il le nucléaire comme solution au dérèglement climatique ?
L’accident nucléaire de Fukushima est un accident industriel majeur survenu au Japon après le tsunami du 11 mars 2011.
Le rapport 2018 du GIEC précise que pour rester en dessous d’un réchauffement planétaire d’1,5 degré, les émissions de GES doivent drastiquement diminuer d’ici 2030 et être nulles d’ici à 2050. Si le rythme d’émission actuel est maintenu, nous dépasserons les 2,5 degrés, avec des conséquences dramatiques. Il y a donc urgence.
Le GIEC propose pour ce faire une série de scénarios de transition. Certains incluent l’énergie nucléaire, d’autres pas.
Le GIEC précise par ailleurs la nécessité d’une transition du système énergétique, qui est déjà en cours dans de nombreux secteurs et régions du monde, en soulignant les progrès des secteurs éoliens et solaires ainsi que de celui du stockage d’électricité, au contraire de celui du nucléaire ou de la captation et du stockage des GES qui n’ont pas montré les mêmes améliorations. Le GIEC constate un ralentissement du développement du nucléaire dont la capacité de développement est limitée par les préoccupations du public, les questions liées à la gestion des déchets et la hausse de ses coûts.
Le GIEC nous impose de réduire nos émissions de GES rapidement, Dès lors, les bénéfices théoriques du nucléaire dans la lutte contre les changements climatiques sont trop faibles, trop lents, trop coûteux et trop risqués pour que l’on puisse compter sur lui.