PROBLEME N°9 :
Les futures centrales poseront tout autant de problèmes que les actuelles

 9.1. La fin des PWR

Certains rêvent encore aujourd’hui de voir le nucléaire se développer massivement dans les années à venir. Développer largement la production nucléaire nationale, européenne ou mondiale est cependant illusoire.

Comme la télévision en noir et blanc, le nucléaire est une technologie du milieu du vingtième siècle.

La plupart des centrales nucléaires encore en action sont en fin de vie, et avant même d’espérer un nouveau développement du nucléaire, c’est le maintien de cette technologie qui est aujourd’hui sérieusement questionné.

En effet, le nucléaire mondial est en déclin. Au 1er juillet 2022, il y a 411 réacteurs nucléaires qui fonctionnent dans un total de 33 pays dans le monde. c’est 27 de moins qu’en 2002. L’âge moyen des réacteurs est de 31 ans, ce qui veut dire qu’ils arrivent en fin de vie.

Construire des centrales nucléaires est devenu tellement coûteux qu’aucune compagnie privée ne s’y aventure sans le soutien massif d’argent public. La complexité et la durée même de construction est telle qu’elle est très incertaine : les retards sont fréquents et font exploser les coûts prévus. Enfin, on ne peut pas construire d’installations nucléaires partout dans le monde.

Une centrale nécessite une situation qui rassemble une série d’exigences complexes : géologique, proximité avec une source d’eau abondante pour assurer le refroidissement, par exemple, et un contexte politique et sécuritaire adéquat.

 9.2. Et les centrales de troisième génération (EPR) ?

La plupart des centrales européennes en activité sont de type PWR (réacteur à eau pressurisée). Ce type de centrale date des années 70. Depuis lors, de nouveaux modèles sont à l’étude, censés corriger les défauts et imperfections des anciens.

Ainsi, l’EPR (pour « European Pressurized Reactor ») est un nouveau modèle de réacteur développé par Areva. Il s’agit de réacteurs dit « de troisième génération”,  sensés produire plus d’énergie avec moins de combustible, être plus sûrs et avoir une durée de vie plus longue (60 ans environ).

Pourtant, les EPR ne répondent pas aux espoirs que l’industrie nucléaire mettait en eux. Il existe à l’heure actuelle 2 réacteurs EPR dont le chantier est terminé, en Chine (à TaIshan).

Mais alors que le contrat de construction a été signé en 2007, la mise en service date de 2018 et 2019.

Et la découverte d’anomalies à conduit a stopper un des deux réacteurs en juillet 2021.

Il vient de redémarrer, après un an d’arrêt (août 2022).

Le réacteur d’Olkiluoto en Finlande a été achevé et mis en service en 2022 mais rapidement mis à l’arrêt pour régler divers dysfonctionnements. Trois autres EPR sont en construction dans le monde : un en France (à Flamanville) et deux au Royaume-Uni (à Hinkley Point).

Prévues initialement pour durer quatre ans et demi, les constructions des réacteurs finlandais et français ont commencé respectivement en 2005 et 2007 et leur mise en service a été repoussée à plusieurs reprises, jusqu’en 2022 et 2023. La construction des réacteurs anglais a débuté en 2016, et du retard a déjà été annoncé à de multiples reprises, l’entrée en service est maintenant prévue pour 2026.

Ces EPR étaient censés incarner le renouveau de l’industrie atomique. Mais le rêve se heurte au mur du réel. Les retards dans les délais de construction (qui se comptent parfois à plus de dix années !) et les difficultés de conception entraînent une forte augmentation des coûts estimés, qui atteignent des montants astronomiques.

Ainsi, le chantier britannique d’Hinkley Point dont le coût était estimé à 16 milliards de livres a vu sa facture augmenter à 18 milliards en 2016, 19,6 milliards en 2017, 22,5 en 2019, et finalement à 26 milliards en janvier 2021. La facture ne fait donc qu’augmenter et semble incontrôlable.

A Flamanville, le coût du réacteur EPR en construction était initialement estimé à 3.3 milliards d’euros, il atteint aujourd’hui 19.1 milliards. 

Le chantier qui devait aboutir en 2012, le sera probablement (?) en 2023. Et en Finlande, le chantier de l’EPR devait se terminer en 2005 mais après un démarrage en mars 2022, il a été arrêté mi-juin.

Son redémarrage est aujourd’hui prévu pour 2023 et son coût est passé de 3 milliards d’euros à près de 11 milliards…

Une des raisons expliquant qu’aucune centrale nucléaire n’a été construite en Europe depuis plus d’une décennie concerne les investissements faramineux que nécessite cette construction.

Un tel projet comporte en effet des risques trop importants et devient difficilement réalisable sans l’aide des pouvoirs publics (en Finlande comme dans les autres pays nucléarisés), qui ont par le passé multiplié les aides au secteur afin de favoriser son développement.

Cette faiblesse est d’autant plus pénalisante dans le cadre d’un marché européen de l’électricité libéralisé.

Sur base des dernières estimations de coût, des chercheurs allemands ont étudié en 2021 la rentabilité des projets EPR et leur conclusion est claire : « Le modèle donne des résultats robustes : investir aujourd’hui dans une centrale nucléaire de génération III/III+ n’est pas rentable, mais générerait très probablement des pertes importantes.

Les valeurs actuelles nettes (VAN) attendues sont fortement négatives dans la plupart des cas, de l’ordre de moins cinq à moins dix milliards d’USD.

Le modèle ne trouve des valeurs positives que dans un très petit nombre de cas.

Les résultats confirment également l’importance des coûts d’investissement et de la durée de la période de construction. Les intérêts pendant la période de construction sont un facteur de coût majeur à ne pas sous-estimer.

L’augmentation de la durée de vie prévue à 60 ans améliore les résultats financiers, mais ne permet pas d’inverser la valeur actuelle nette prévue négative.». Et cette étude ne prend même pas en considération la gestion des déchets ni le démantèlement des réacteurs.

L’EPR s’apparente donc en réalité plutôt à une bouée de sauvetage pour une industrie nucléaire en déclin, qui table sur ce modèle de réacteur pour faire croire à un renouveau de l’atome et entretenir l’illusion d’une énergie abondante, sûre et bon marché.

La réalité est toute autre malgré des investissements en recherche historiquement massivement orientés vers les technologies nucléaires.

9.3. Des futurs petits réacteurs atomiques SMR ?

Un projet de nouveaux réacteurs à eau pressurisée, de petite taille, est dans les cartons de l’industrie nucléaire… et du Président français. Ces réacteurs, dont la puissance varierait entre 10 et 300 MWe, inspirés de la technologie utilisée dans les sous-marins à pile atomique, sont censés pouvoir se développer massivement sur toute la planète pour assurer un accès plus simple à la technologie nucléaire à un coût moins élevé que celui de la construction d’une centrale “traditionnelle”.

Il n’existe cependant pas, à ce jour, de filière industrielle permettant l’émergence des SMR, lesquels pourraient au mieux être disponibles vers 2040. Les (deux) seuls SMR opérationnels actuellement en exploitation sont… une barge nucléaire flottante russe – l’Akademik Lomonosov – en Sibérie. Les autres projets de SMR – environ 70 – sont encore en cours de conception ou de développement, au stade d’un avant-projet détaillé.

Comme l’indique l’IRSN dans un récent rapport, « Le niveau de maturité de ces concepts reste très en-deçà du niveau de maturité attendu pour engager un processus d’autorisation, à l’exception notable du réacteur IMSR de la société Terrestrial Energy (…)».  L’IRSN conclut que « la faisabilité et l’efficacité restent à démontrer ».

Et surtout, les SMR ne répondent pas aux problèmes posés par leurs « grands frères ». Le coût du kilowattheure produit est encore plus cher et il faudrait produire le même type de petit réacteur à très grande échelle pour s’approcher du tarif de l’électricité nucléaire produite par les grands réacteurs, ce qui semble loin d’être acquis. Or la demande potentielle pour ce type de réacteur, même dans ses estimations les plus optimistes, ne permettra pas ce développement à grande échelle nécessaire. Il est aussi difficile d’imaginer le modèle économique d’un réacteur nucléaire produisant dix fois moins d’électricité que ses grands frères, étant donné les coûts fixes du nucléaire : l’électricité produite le serait à un coût probablement prohibitif. Ne parlons même pas des débats sur l’emplacement de nouveaux réacteurs de ce type.

L’urgence climatique et le coût prohibitif de l’énergie produite de cette façon en comparaison avec le prix du renouvelable disqualifient largement ces projets. Il n’y a pas même un prototype en vue dans un avenir proche. L’obligation d’agir immédiatement pour décarboner notre production électrique et réduire nos émissions de GES d’ici 2030 ne permet pas d’imaginer un rôle crédible pour les petits réacteurs à cet égard.

 9.4. Et la fusion ?

“La fusion, cela fait cinquante ans qu’on nous dit que ce sera opérationnel dans cinquante ans”

Technologie fascinante et totalement différente de la fission, la fusion nucléaire consiste à reproduire industriellement les réactions physiques qui se produisent au cœur du soleil et des étoiles.

Il s’agit réaliser la fusion des noyaux de 2 isotopes de l’hydrogène, le Deutérium et le Tritium, en portant un plasma à une température avoisinant les 150 millions de degrés. A cette température se réalise la réaction de fusion qui produit une quantité d’énergie dix fois plus importante que celle consommée pour y parvenir et ne dégage que de l’hélium, gaz inerte, comme déchet. Une filière de fusion nucléaire ne produirait par ailleurs pas de déchets radioactifs à longue durée de vie.

En 2005, après de longs marchandages entre l’Union européenne et le Japon, un accord a été conclu pour la construction du réacteur expérimental « ITER » (réacteur thermonucléaire expérimental international) à Cadarache, en France. ITER est une installation de recherche et les promoteurs de la fusion concèdent que le premier réacteur commercial ne fonctionnerait pas avant 2060.

Le rêve derrière ITER est de créer un moyen de production d’énergie colossal, propre, sûr et illimité mais la production d’électricité par fusion n’est encore qu’au stade de la recherche et n’est pas réellement envisagée avant plusieurs décennies. Vu l’urgence de la lutte contre les changements climatiques, la fusion ne peut donc pas y jouer un rôle.

 9.5. Les dépenses liées à ITER ?

Si ce type de recherches est a priori intéressant, le risque est cependant grand d’investir énormément de moyens (entre 19 et 60 milliards de dollars selon les dernières estimations) alors que nous n’avons aucune garantie de résultats à long terme et la certitude de n’avoir aucun résultat ni à court, ni à moyen terme. D’autant que ce sont des moyens financiers qui n’iront pas aux renouvelables ou à l’augmentation de l’efficacité énergétique.

Rien qu’au niveau de l’Union européenne, des investissements massifs ont été dégagés. En 2006 : 5,9 milliards d’euros sur une période de 10 ans. Le premier plasma est alors prévu en 2016. En 2008, ce montant a été revu à la hausse : 19 milliards d’euros sont investis, sur une période de 10 ans, et le premier plasma est alors reporté à 2019. En 2016, l’investissement passe à 20 milliards d’euros et le premier plasma est reporté à 2025. Une fois encore, en février 2021, le Conseil européen a approuvé un financement supplémentaire pour ITER de 5,61 milliards d’euros sur la période 2021-2027.

Le dernier Nobel de physique japonais, Masatoshi Koshiba, a d’ailleurs remis en cause le bien-fondé du projet ITER, qui ne remplit pas selon lui un certain nombre de conditions, à savoir la sûreté et les coûts économiques.

 9.6. Les grands travaux inutiles ?

Le projet ITER peut susciter un intérêt scientifique ou un rêve un peu fou, mais il soulève aussi une question : est-ce vraiment nécessaire ?

Les coûts colossaux pour des résultats très incertains, aux conséquences non maîtrisées, dans des délais qui se comptent en plusieurs dizaines d’années au mieux, mis en comparaison avec le basculement actuel du monde dans les énergies renouvelables, semblent associer ce projet à un grand travail inutile.

La fusion, c’est comme miser sur les voitures volantes pour résoudre les problèmes actuels d’embouteillages sur le ring de Bruxelles. Cela pourrait peut-être un jour représenter une solution, mais il est irresponsable de compter dessus pour résoudre des problèmes qui se posent aujourd’hui.

Les autres problèmes du nucléaires :

Problème N°1
Problème N°2
Problème N°4
Problème N°5
Problème N°6
Problème N°7
Problème N°8
Problème N°9
Contre-point

Problème 9