PROBLEME N°6 :
Le nucléaire nous rend énergétiquement dépendants d’autres pays
Les pays de l’UE ne possèdent que 2% des réserves mondiales d’uranium, et la Belgique n’en possède pas. On ne peut donc vraiment pas parler d’indépendance énergétique…
Les seules énergies qui nous garantissent l’indépendance, ce sont les énergies renouvelables.
6.1. Une indépendance toute relative
Les défenseurs de l’énergie nucléaire brandissent souvent l’avantage géopolitique de l’indépendance énergétique qu’elle permettrait. Ce fut même un argument principal en France dans les années 70, après le premier choc pétrolier : développer massivement le nucléaire devait alors permettre à la France d’assurer son indépendance énergétique sans plus dépendre des pays exportateurs de pétrole.
Pourtant, le nucléaire ne garantit pas l’indépendance énergétique de la Belgique, qui dépend très largement d’importations de gaz et de pétrole, comme l’actualité nous le rappelle.
D’une part, parce que la société gestionnaire du parc nucléaire n’est pas belge mais française, avec tout ce que cela comporte comme complexité vu son importance déterminante dans le système électrique national.
D’autre part, parce que l’uranium utilisé comme combustible ne vient ni de Belgique, ni de France.
Or, les réserves d’uranium-235, nécessaire pour faire tourner les réacteurs, sont insuffisantes pour faire face à une hausse importante de la capacité nucléaire.
Elles sont estimées à un peu plus d’un siècle d’usage au rythme de consommation actuel et évidemment d’autant moins si le nucléaire devait se développer significativement.
Les plus grands producteurs d’uranium sont l’Australie, le Canada, le Kazakhstan, la Namibie, le Niger et la Russie. Ces 6 pays produisent 80% de la production mondiale. Mais l’uranium doit être enrichi avant d’être commercialisé comme combustible et la Russie contrôle au moins 35% de l’offre mondiale d’uranium enrichi.
La production d’uranium est donc extrêmement concentrée, bien plus que le pétrole. De ce fait, le chantage à l’uranium est plus facile que celui au pétrole. C’est pour cela que la France, très dépendante du nucléaire, attache une aussi grande importance à s’assurer un approvisionnement sûr, en particulier au Niger.
Le Niger, le Kazakhstan et la Namibie peuvent difficilement être considérés comme des fournisseurs « sûrs ».
Quant au Canada et à l’Australie, l’opposition aux mines d’uranium (populations locales, propriétaires, pêcheurs, chasseurs, touristes, etc.) est de plus en plus forte, rendant l’extension ou l’ouverture de nouvelles mines des plus aléatoires.
6.2. Une dépendance vis à vis de la Russie
Un autre élément avancé, en particulier suite à l’agression russe en Ukraine, est que le nucléaire nous permettrait d’assurer notre indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Cet élément est pourtant à nuancer, à travers notamment l’exemple belge.
Environ 20% de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires européennes provient de Russie.
L’uranium utilisé dans les centrales belges provient, quand à lui, de divers pays : Kazakhstan, Russie, Niger ou Ouzbékistan mais 40% de celui-ci serait lié à la Russie si on tient compte du cycle du combustible.
En effet, les centrales ne s’alimentent pas d’uranium mais de combustibles dont la production est adaptée à la technologie des réacteurs, ce qui limite les possibilités de changement rapide de fournisseur. Il en va de même pour les processus d’obtention de licence d’exploitation. On ne peut donc pas remplacer du jour au lendemain l’origine du combustible de nos centrales.
La conversion, l’enrichissement de l’uranium et la fabrication de combustible sont des processus techniques sophistiqués qui sont réalisés dans un petit nombre d’installations à travers le monde.
La Russie s’impose comme un leader mondial dans ce domaine. La société russe Rosatom est devenu le principal acteur de la production de combustible à l’échelle mondiale, dominant la conversion (35 % des parts du marché) ainsi que l’enrichissement (36 %), avec une stratégie d’expansion notamment vers les mines d’uranium africaines. Rosatom, qui dépend directement du Kremlin, est très fortement présente au Kazakhstan ainsi que dans le processus d’enrichissement de l’uranium kazakh.
La stratégie d’expansion russe repose donc sur l’acquisition et le développement d’exploitations à l’étranger, via Uranium One, filiale de Rosatom.
La Russie souhaite d’ailleurs encore accroître son poids dans le secteur dans la décennie à venir grâce à sa stratégie d’expansion dans le nucléaire (Stratégie Énergie 2035).
En outre, le contrat pour nos centrales entre la société belge Synatom et le fournisseur Uranium One, fililale de Rosatom, arrive à échéance. Prolonger nos centrales oblige donc à renégocier un nouveau contrat avec la Russie dans un rapport de forces favorable à Moscou.
Enfin, les prix mondiaux de l’uranium grimpent depuis deux ans. Aujourd’hui, la guerre en Ukraine pousse certaines transactions à la hausse.
L’uranium venant de Russie ou enrichi par la Russie n’est donc pas anecdotique. La dépendance n’est pas que financière, elle est aussi stratégique. Les pays de l’UE ne possèdent que 2% des réserves mondiales d’uranium, et la Belgique n’en possède pas. Qui peut vraiment parler d’indépendance énergétique ?
6.3. La face cachée de l’exploitation de l’uranium
Si les problèmes en aval de la filière nucléaire (déchets, retraitement, transport, enfouissement) sont régulièrement mis en lumière, les activités en amont (mines, transformation chimique, enrichissement, etc.) font rarement la une de l’actualité. Pourtant, les nuisances qui sont liées à ces activités, notamment l’exploitation des mines d’uranium, sont particulièrement polluantes et ont de forts impacts sociaux, environnementaux et sanitaires.
L’installation des mines occasionne la destruction ou le déménagement de villages entiers, le détournement de rivières ainsi que la stérilisation de terrains agricoles et de terrains naturels.
Le traitement du minerai exige l’usage de produits chimiques toxiques qui sont régulièrement déversés dans l’environnement.
Les amoncellements de résidus miniers conservent 85% de la radioactivité du minerai d’origine et contiennent également des matières chimiques toxiques : acides, arsenic, nitrates et métaux lourds.
Le problème de l’élimination de ces déchets radioactifs est très complexe et n’a jamais été réellement abordé. D’immenses tas de résidus ont été abandonnés lors de la fermetures de mines. En France, on évalue le stock de résidus à environ 50 millions de tonnes.
Le minerai d’uranium extrait du sol et broyé est plus dangereux que l’uranium à l’état naturel car il expose davantage les humains, la faune et la flore à la radioactivité de l’uranium lui-même et des gaz et solides radioactifs qu’il répand dans l’environnement.
Les personnes qui courent le plus grand risque sont les mineurs qui transportent l’uranium vers la surface. Les produits de filiation du radon sont présents dans la poussière microscopique qu’ils respirent.
Les gisements à très haute teneur en uranium constituent un risque encore plus grand pour les mineurs à cause de niveaux très élevés de radioactivité.
Libéré en grande quantité par l’activité minière, le gaz radon-222 peut provoquer le cancer du poumon, des maladies du sang, des troubles rénaux et des problèmes de reproduction.
Le radium-226 est un autre sous-produit de l’uranium en désintégration. Il s’agit d’un métal lourd radioactif.
Ses effets reconnus sont plusieurs types de cancers. De tous les sous-produits de la désintégration de l’uranium, le thorium-230 a la demi-vie la plus longue, soit 76.000 ans.
Il est particulièrement toxique pour le foie et les reins.
L’activité d’extraction de l’uranium, comme toute activité minière, pose aussi le problème des droits des populations locales. Ce problème est d’autant plus aigu que de nombreux sites mettent en danger des populations autochtones déjà fragilisées. C’est le cas des Inuits au Canada, des Navajos aux Etats-Unis, des Aborigènes en Australie et des Touaregs au Niger.
L’implantation de sites industriels de grande taille constitue souvent un profond changement pour les populations autochtones, avec de nombreux effets néfastes : propagation de maladies, déstabilisation sociale… sans parler de l’exposition aux pollutions.
6.4. La sécurité d’approvisionnement
Le nucléaire est un système de production extrêmement centralisé : un réacteur à l’arrêt, c’est directement 1000 MW de moins sur le réseau.
En 2018, par exemple, une bonne partie du parc nucléaire belge a été mis à l’arrêt de façon imprévue et la capacité de production du pays a diminué avec un taux de disponibilité nucléaire de seulement 50%.
Or, avec des centrales vieillissantes, la fréquence des incidents, pannes, entretiens, etc. augmente. Sans parler des pannes génériques comme celle de 2007 en France, qui a provoqué le doublement du prix de l’électricité pendant plusieurs mois.
Dépendre d’une poignée de réacteurs pour près de 50% de notre électricité, c’est donc mettre la sécurité d’approvisionnement en péril.
Par ailleurs, nous l’avons vu, l’industrie nucléaire dépend intégralement des importations d’uranium, de pays parfois très instables.
Contrairement à ce qui se dit fréquemment, c’est donc paradoxalement le nucléaire qui augmente le risque de blackout.
La situation en France en automne 2022, avec la moitié des réacteurs atomiques à l’arrêt pour maintenance ou problèmes de corrosion nous démontre une fois encore les risques à mettre « tous ses oeufs dans le même panier ».
En Belgique
Dans une interview parue le 20 novembre dans « De Tijd », le CEO d’Elia, gestionnaire du réseau de transport de l’électricité, Chris Peeters, balayait l’idée d’une rupture de l’approvisionnement en électricité du pays en cas d’arrêt du nucléaire. Alexander de Croo a alors déclaré en télévision (RTL) : « La lumière ne va pas s’éteindre. Nous ferons tout pour l’éviter. Nous avons souvent demandé de faire des choix parce que le débat (sur la sortie du nucléaire) ne cessait pas. La ministre (de l’Energie) dit maintenant que la sortie du nucléaire sera mise en œuvre.
On peut apprécier ou non ce choix politique mais, maintenant, il y a la clarté que le secteur recherchait. Il y a aussi du réalisme en y liant un monitoring de l’approvisionnement et des prix ».
L’étude d’adéquation et de flexibilité d’Elia démontre qu’une sortie du nucléaire est possible mais nécessite la mise en place de nouvelles unités de production et nouveaux mécanismes afin de faire correspondre la demande et la production et ainsi d’assurer la sécurité d’approvisionnement.
La prolongation de 2 GW de nucléaire, comme le prévoit à présent le gouvernement, ne permet d’ailleurs pas d’assurer à elle seule les besoins du système. Ainsi, même avec une prolongation nucléaire, nous aurions besoin de 2 à 3 nouvelles centrales au gaz, contre 3 à 5 sans prolongation selon les scénarios. Qui plus est, cette éventuelle prolongation crée deux nouveaux risques :
- Les travaux nécessaires à la prolongation des réacteurs affecteraient leur disponibilité avant 2025-2026, ce qui affecte à nouveau la sécurité d’approvisionnement (2023) ;
- Le soutien financier à la construction de nouvelles centrales au gaz et pour la gestion de la demande reste nécessaire… mais sa validation par l’UE devient incertaine en cas de prolongation du nucléaire.
6.5. Vers une augmentation des importations d’électricité ?
Nos importations d’électricité ne vont pas exploser en 2025. Si l’on se réfère aux résultats de l’étude EnergyVille, en 2030 nous importerons 8,8 TWh sur une demande de 89,3 TWh (9,85 %) contre 6,5 TWh sur une demande de 89,5 TWh (7,26%) en cas de prolongation de 2 GW de nucléaire sur 10 ans.
En vérité, et c’est ironique de le relever, les niveaux d’importation d’électricité les plus élevés au cours des 30 dernières années ont été causés par l’indisponibilité non planifiée de plusieurs réacteurs nucléaires en 2018 (17 TWh d’importations).
Une étude, publiée en octobre 2020 par l’Institut de l’environnement de Munich (Umweltinstitut München)
Cette étude, précise même : « Les centrales nucléaires belges sont également devenues si peu fiables qu’elles mettent en danger la sécurité de l’approvisionnement au lieu de la renforcer. Les pannes imprévues sont de plus en plus fréquentes et, avec elles, des situations dans lesquelles une grande quantité d’électricité doit être fournie immédiatement pour compenser une lourde charge pour le système électrique belge. Les facteurs de stabilisation sont principalement attribuables aux énergies renouvelables. Leur croissance au cours des dernières années peut compenser une partie de l’énergie nucléaire. Cependant, l’inverse est également vrai : plus on ferme de centrales nucléaires, plus on crée de possibilités pour les énergies renouvelables. Les investissements, notamment dans les centrales éoliennes, augmenteront alors à nouveau. Pour cette raison également, une sortie rapide du nucléaire en Belgique assurerait une plus grande stabilité du secteur de l’électricité.” «